Faut-il relire la trilogie du Seigneur des Anneaux ?

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Plus de 40 ans après, la trilogie du Seigneur des Anneaux de J.R.R. Tolkien bénéficie d’une nouvelle traduction française, entièrement revue par Daniel Lauzon. La publication du 3e volume arrivera à l’automne 2016 : l’occasion de relire de bout en bout cet immense roman épique. Et de se rappeler ce que les films réalisés par Peter Jackson ont peut-être contribué à nous faire oublier : à quel point la langue de Tolkien est belle et puissante.

Relire la trilogie du Seigneur des Anneaux

C’était après l’immense succès rencontré par le portage sur grand écran de la trilogie du Seigneur des Anneaux (et la consécration du Retour du Roi aux Oscars). C’était en 2012, alors que Le Hobbit : un voyage inattendu, toujours aux mains de Peter Jackson, s’apprêtait à sortir en salles. Les éditions Bourgois proposèrent alors une toute nouvelle traduction du célèbre conte de Tolkien, avec illustrations.

De là, germa l’idée de traduire de nouveau un pavé que Jackson avait contribué à remettre sur le devant de la scène : l’œuvre majeure du linguiste britannique, dont s’occuperait le Québécois Daniel Lauzon. L’objectif ? Fêter dignement les 60 ans de la parution de la trilogie du Seigneur des Anneaux (1954-1955) tout en révisant intégralement le texte pour le rendre plus conforme à l’univers de Tolkien.

Était-ce bien raisonnable ? En version anglaise, le roman pèse 1 000 pages. Qui lit encore de tels volumes ? Tout le monde, en réalité. Le lectorat de Tolkien est tellement diversifié qu’il court de 15 à 90 ans. Et son œuvre si grandiose que chacun a « son » Tolkien, qu’il découvre et chérit à sa manière. Certains en ne lisant que sa correspondance, par exemple.

Et quoi de mieux qu’une nouvelle traduction pour remettre une création de cet ordre au goût du jour ? D’autant qu’une révision peut profondément changer un texte : voyez ce qu’a fait André Markowicz pour Dostoïevski. Ni une, ni deux, voilà les éditions Bourgois qui rééditent la trilogie à raison d’un volume par an, entre 2014 et 2015 (lire à ce sujet cet interview passionnant).

La première traduction par Francis Ledoux

Parue au milieu des années 50 dans le monde anglo-saxon, la trilogie du Seigneur des Anneaux n’est traduite en français qu’en 1972. C’est l’éditeur Christian Bourgois qui confie cet immense travail à Francis Ledoux, le même homme qui a travaillé sur l’édition française du Hobbit trois ans plus tôt, paru chez Stock.

Francis Ledoux est un homme talentueux, qui a traduit Charles Dickens, Horace Walpole ou Tennessee Williams. Seulement, voilà : l’univers décrit par Tolkien, avec ses Elfes et ses Nains, n’est pas tout à fait le sien. Et comme l’a prouvé Markowicz avec son travail sur Eugène Onéguine de Pouchkine, il faut un lien particulier entre l’œuvre et son traducteur pour que la mayonnaise prenne.

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Les limites d’une adaptation

Ainsi, la traduction de Ledoux connaît 3 problèmes majeurs :

  • D’abord, à l’époque, la trilogie du Seigneur des Anneaux est une œuvre isolée, si l’on excepte Le Hobbit. Les deux romans, à eux deux, ne constituent qu’une infime fraction du travail fourni par Tolkien sur la Terre du Milieu et la totalité du monde qui l’entoure (qu’il nomme « Eä »). Il faudra attendre 5 ans pour que Christopher Tolkien, après la mort de son père, fasse paraître Le Silmarillion, un récit du Premier Âge rendant réelles les histoires qui, dans le Seigneur des Anneaux, n’étaient à première vue qu’un vague arrière-plan.
  • Ensuite, Ledoux n’a pas eu connaissance (ou n’a pas tenu compte) du Guide des noms mis à la disposition des traducteurs par Tolkien lui-même. L’auteur, qui rappelons-le était philologue, y expliquait le soin étymologique qu’il avait mis à choisir les noms de ses personnages et demandait à ce que ceux-ci soient conservés tels quels. Il y proposait, en outre, des conseils et des aides pour les traductions dans des langues diverses. Sans s’y référer, Ledoux a modifié à l’envi les patronymes des protagonistes de l’aventure, transformant entre autres Frodo et Bilbo Baggins en Frodon et Bilbon Sacquet.
  • Enfin, ceci expliquant cela, cette traduction révèle de graves contresens. Un seul exemple : dans le prologue de la Communauté de l’Anneau, Ledoux fait référence à la mort d’Elrond et de Galadriel. Or, comme nous l’apprenons dans Le Silmarillion, les Elfes, premiers êtres créées par Ilúvatar sur la Terre du Milieu, sont immortels. La confusion vient de l’utilisation du terme « departure », qui signifie effectivement « décès » dans certains cas, mais pas dans ce contexte qui voit les deux Elfes quitter la terre des Hommes pour rejoindre Valinor, territoire des Valar (sortes de divinités).

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Le traducteur et l’auteur

Depuis 1972, l’univers de Tolkien s’est grandement développé. Avec Le Silmarillion tout d’abord, puis avec les volumes successifs de l’Histoire de la Terre du Milieu, qui ont contribué à lever le voile sur la plus grande création mythologique de tout le XXe siècle. De nos jours, il était donc plus que temps de revenir sur cette première traduction.

Le choix de l’éditeur s’est arrêté sur un jeune universitaire québécois, Daniel Lauzon, qui s’était fait connaître sur les sites francophones consacrés à l’univers de Tolkien, notamment tolkiendil.com. Lauzon y faisait preuve d’une connaissance si profonde de l’œuvre, et d’une compréhension si précise du style de l’auteur, qu’il était le candidat idéal pour une révision intégrale.

Les éditions Bourgois lui confient, pour commencer, une petite partie du travail sur le 3e volume de l’Histoire de la Terre du Milieu : les Lais du Beleriand (du nom de la province dans laquelle les Elfes du Premier Âge avaient élu résidence). Il fait si bonne impression qu’on lui attribue derechef les deux volumes suivants. Et c’est tout naturellement qu’il est retenu pour le grand-œuvre, quelques années plus tard.

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Une nouvelle traduction pour la trilogie du Seigneur des Anneaux

Comment résumer, en quelques mots, les qualités de cette nouvelle traduction de Daniel Lauzon ?

  • Les qualités stylistiques, la fluidité du rythme, les variations de styles et des registres qui sont propres à Tolkien y sont pleinement conservés ;
  • Lauzon a pris grand soin de transplanter les variations dans la narration et dans les dialogues, variations d’autant plus importantes que Tolkien a caractérisé chaque protagoniste par sa manière de s’exprimer ;
  • En se rappelant que Tolkien était aussi un poète, Lauzon a suivi des contraintes poétiques et prosodiques afin de rendre au mieux les poèmes et les chants qui sont nombreux dans l’œuvre.

Pour autant, le soin apporté par le Québécois à sa traduction n’a pas empêché de vives discussions sur Internet quant à certains de ses choix. Pour exemple, la forêt de Mirkwood (traversée par la bande des Nains et par Bilbo dans Le Hobbit), dont il est fait référence dans la trilogie du Seigneur des Anneaux, est devenue, sous la plume de Lauzon, la « Forêt de Grand’Peur ».

Ici, le traducteur a voulu éviter de tomber dans le même piège dans lequel s’embourba autrefois Ledoux, en traduisant Mirkwood par « Forêt Noire ». Cette translation tendait à faire sortir le lecteur de l’univers de Tolkien en reprenant une expression qui renvoyait à la fois à un lieu géographique (en Allemagne) et à un dessert. Après moult réflexion, Lauzon a fini par arbitrer lui-même.

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Alors : faut-il relire Tolkien ?

En attendant que Le Silmarillion soit l’objet, à son tour, d’une révision complète (la première traduction date de 1978), faut-il se lancer et relire la trilogie du Seigneur des Anneaux dans la version de Daniel Lauzon ? Notre avis tend vers le « oui » clair et sonnant. Ne serait-ce que parce que le traducteur a respecté les exigences de Tolkien en matière de noms propres.

Toutefois, et c’est encore plus vrai ici que pour d’autres œuvres, tout lecteur du linguiste anglais doit avoir conscience qu’il n’aura jamais vraiment « lu » Tolkien s’il ne l’a pas exploré dans sa langue originelle. Celle-ci est tellement belle, puissante et convaincante, qu’une traduction, même excellente, ne peut que rapprocher du texte premier, sans jamais s’y confondre.

Il ne reste plus qu’à publier cette nouvelle traduction dans la prestigieuse collection de La Pléiade, en bilingue tant qu’à faire, et le petit monde des fans de Tolkien sera comblé.

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