L’absurde pièce par pièce au théâtre de la Huchette

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Il est un lieu discret mais magique, au cœur de Paris, entre la Seine et la Sorbonne, qui attire chaque soir une foule de curieux venue assister aux représentations des pièces loufoques de Ionesco. Depuis plus d’un-demi siècle, le théâtre de la Huchette provoque les rires et les gloussements des spectateurs avec son double programme. Visite guidée.

Un lieu de légende extrêmement discret

Le numéro 23 de la rue de la Huchette, au cœur du Quartier latin, dans le 5e arrondissement de Paris, est le lieu de drôles de manifestations. L’entrée ne paie pas de mine : une porte en fer décorée de personnages dessinés en noir et blanc, des panneaux en verre débordant d’extraits d’articles de journaux. Et un programme annoncé par des lettres noires suspendues.

Pour un peu, on croirait l’endroit abandonné. Ou bien on lui prêterait volontiers les caractéristiques d’un espace interlope, cher aux noctambules, qui ne s’ouvre qu’aux initiés munis d’un passe reconnaissable ou vêtus dans un style inavouable. Cette interrogation secrète voisine avec les restaurants, bars et kebabs alentours qui accueillent une foule compacte de touristes de toutes nationalités.

Et pourtant, à l’intérieur, une chorégraphie curieuse se met en place, qui fait tournoyer les idées et renverse la logique à coups de bourrasques d’absurdités. Depuis plus de 50 ans, on joue là, dans une salle forte d’une centaine de sièges, les pièces saugrenues d’Eugène Ionesco.

Un théâtre aux origines romanesques

Le théâtre de la Huchette est né des poussières soulevées par le vent de la Libération, après quatre années d’occupation qui ont progressivement étouffé la voix originale de la création théâtrale. Les petites salles prolifèrent, notamment dans le Quartier latin, des endroits aux noms chantants et évocateurs : les Noctambules, le Vieux Colombier, le théâtre Babylone. Tous, ou presque, ont disparu depuis.

Exilé russe et comédien, Georges Vitaly croise par hasard le chemin d’un ancien camarade du cours dramatique, Marcel Pinard. Celui-ci, qui a enchaîné les petits boulots et rêve toujours de monter sur les planches, partage la vie d’une Marie-Thérèse Desportes, propriétaire de l’immeuble du 23 rue de la Huchette et de la boutique du rez-de-chaussée.

En 1948, Pinard et Desportes louent l’endroit à Vitaly pour un franc symbolique, charge à ce dernier d’en faire un véritable théâtre. Le lieu a quelque chose de magique : il abritait autrefois un restaurant arménien tenu par les parents de Charles Aznavour. Les moines de Saint-Séverin auraient enterré dans ses caves un trésor en 1789. Et un mage aurait tenté d’y développer sa propre religion à base de nécromancie.

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Un haut lieu de la création contemporaine

Sous la férule de Vitaly, puis, lorsque celui-ci part s’occuper du théâtre de La Bruyère en 1953, reprise en main par Pinard, la Huchette devient un haut lieu de la création théâtrale contemporaine, montant des pièces essentielles de la seconde moitié du XXe siècle.

Les auteurs choisis, particulièrement décriés à l’époque – Audiberti, Ghelderode, Adamov, Ionesco, Genêt, Beckett – constituent aujourd’hui les piliers du patrimoine culturel national.

Et un patrimoine, ça se défend, contre vents et marées. En 1975, lorsque Marcel Pinard, qui tenait la caisse du théâtre, est terrassé par une crise cardiaque, la troupe de la Huchette doit sauvegarder l’héritage des deux fondateurs face aux intérêts économiques. Pas question de vendre et de transformer le lieu en panier alimentaire à touristes.

Il faut cinq longues années et une bataille juridique épuisante pour que les 22 comédiens de la troupe de la Huchette parviennent à en reprendre la gérance et en assumer la direction, en fondant une SARL. Pour eux, ce fut plus qu’un choix : une obligation morale. Pour que le théâtre continue sa route. Pour que la création vive.

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Le théâtre de la Huchette, seconde maison de Ionesco

Ce théâtre minuscule et discret est surtout connu pour un record de longévité, unique en son genre : depuis 56 ans, deux pièces d’Eugène Ionesco, La Cantatrice chauve et La Leçon, y sont jouées sans interruption à l’occasion d’un double programme.

De fait, la théâtre de la Huchette est devenu comme une seconde maison pour le dramaturge d’origine roumaine, qui confirmait au début des années 50 sa notoriété grandissante. Mais à l’époque, les représentations de ces deux pièces sont d’abord un échec cuisant : la critique est au rendez-vous, les spectateurs non.

Marcel Cuvelier et Nicolas Bataille, qui jouent alors aussi bien les comédiens que les metteurs en scène à la Huchette, se lancent dans un double programme, idée inspirée par un critique. Jacques Noël invente pour l’occasion un décor réversible constitué de paravents : verts pour La Cantatrice chauve, rouges pour La Leçon.

Cette fois, le succès frappe à la porte, mais il faut bientôt laisser la place à d’autres œuvres. En 1957, grâce au financement consenti par le réalisateur Louis Malle, Cuvelier et Bataille remettent le double programme Ionesco à l’affiche – qu’il n’a jamais quitté depuis !

Dépêchez-vous néanmoins de courir voir ces deux pièces, histoire de vérifier si la cantatrice est toujours chauve et si la leçon a été bien apprise.

Pour plus de renseignements (créations, tarifs, etc.) vous pouvez consulter le site officiel du théâtre de la Huchette.

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