Laurent Baffie au théâtre : vanité de la vanne

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Bien connu pour son rôle de « sniper » à la télévision, notamment aux côtés de Thierry Ardisson, et pour ses blagues vulgaires qui feraient presque passer Jean-Marie Bigard pour un enfant de chœur, Laurent Baffie est aussi un auteur et metteur en scène de théâtre de grand talent. Ses pièces, fleuries et osées, à son image, sont aussi des bijoux d’écriture et d’humour.

Baffie mérite des baffes

Né en 1958, Montreuillois de naissance, celui qui n’est souvent appelé que « Baffie », parce que son patronyme est devenu son identité, est un homme-orchestre atypique. Son métier est multiple : à la fois humoriste, auteur, réalisateur, animateur radio et télé, metteur en scène de théâtre. Il y a encore un demi-siècle, on l’aurait qualifié de « chansonnier » sans parvenir à englober tout le bonhomme.

Sa longévité parle d’elle-même : lorsqu’il commence à rédiger des sketches pour son ami Bigard en 1987, alors que celui-ci participe à l’émission « La Classe » de Fabrice sur FR3, il ne se doute certainement pas qu’on puisse faire carrière avec des vannes. Et, effectivement, on ne devient pas célèbre avec quelques bons mots. Il faut, pour cela, un petit quelque chose en plus qui s’appelle le talent.

Baffie s’est fait connaître par son sens aigu de la répartie, cette aptitude peu commune à balancer des vannes comme on tire à la mitraillette. C’est-à-dire : sans précision mais en rafale et pour faire mal. Avec Ardisson, il joue les faux cadreurs sur « Tout le monde en parle » et, caché derrière la caméra, dégaine ses plaisanteries de sale gosse contre des invités qui tous n’apprécient pas son humour pince-sans-rire.

L’homme qui n’aimait pas les règles

Petit cancre en son temps, Baffie est incapable de s’adapter aux règles de l’école, au formatage auquel on soumet son esprit libre et délirant. Il prend dans l’éducation nationale la seule chose qui lui ait servi – son expérience de la cour de récré, où à défaut d’avoir des muscles il avait des bonnes répliques – et s’en va quêter des jobs à la petite semaine dès ses 16 ans.

L’ingratitude du rôle d’auteur, toujours dans l’ombre, le pousse à jouer de son humour pour dévier dans sa direction un peu de la lumière des projecteurs. Il vogue entre radio (Fun Radio, RTL, Europe 1, Rire et Chansons) et télé (France 2, Canal +). Paralysé dans « Nulle Part Ailleurs », il devient la cible des Guignols qui moquent sa réplique phare : « J’peux pas, demain j’ai piscine ».

L’homme des caméras-cachées semble avoir du mal à trouver sa place dans le monde du spectacle. Une instabilité qu’incarne son émission « C’est quoi ce bordel ? » sur Europe 1, dont le nom change tous les dimanches, jusqu’à se fixer enfin. Comme si ce show définissait mieux que tous les discours le personnage de trublion inconsistant qu’est Baffie.

Laurent Baffie au théâtre vanité de la vanne 2

Le talent derrière la bouffonnerie

Alors, comment expliquer que l’enfant mal élevé et rebelle, l’humoriste grossier et canaille, qui poursuit désormais son rôle de sniper du rire aux côtés de Laurent Ruquier chez les « Grosses Têtes » de RTL, soit passé maître dans l’art très sérieux et prosaïque du théâtre ? Un art régi par certaines contraintes auxquelles il faut bien se soumettre.

D’abord, Baffie est depuis longtemps attiré par la mise en scène. Après l’écriture de sa première pièce, Sexe, magouilles et culture générale en 2001, il s’essaie à la réalisation de cinéma – son rêve. Les Clefs de bagnole sort en 2003. Fidèle à son esprit d’autodérision, il incite les gens à ne pas y aller (« Ce film est une merde ! » était écrit sur l’affiche). Gagné, puisque personne n’y va. Et qu’il est criblé de dettes jusqu’en 2010.

Ensuite, et surtout, Baffie est un auteur génial. Il est le Molière de la vanne grasse et le Sartre de l’humour qui fait mouche. Ses publications, souvent des recueils de vannes, sont des succès publics : Tu l’as dit Baffie en 2005, Le Dictionnaire de Laurent Baffie en 2012, 500 questions que personne ne se pose en 2014.

Ses pièces, elles aussi, attirent le public. Après le premier essai, ce sont les coups de maître : Toc Toc, Un point c’est tout !, Les Bonobos, Sans filtre se jouent pendant des mois, des années, voire s’exportent à l’étranger. Baffie le reconnaît : il est un « sale gosse », comme le souligne le titre de son one man show, qu’il joue pendant un an entre 2010 et 2011, finissant à l’Olympia. Mais un sale grosse malin.

Baffie au théâtre, Laurent sur les planches

Inspirée d’un sketch mémorable des Inconnus, « Télé Magouilles », sa première pièce Sexe, magouilles et culture générale met en scène une caricature de jeu télévisé qui fait participer à l’improviste les spectateurs du théâtre. Face à une candidate qui gagne depuis des semaines, plombant son audience, le producteur de l’émission décide de lui confronter une belle écervelée dotée d’une oreillette.

La pièce le révèle comme auteur, mais c’est surtout Toc Toc, en 2005, et son triomphe, qui le propulse dans la cour des grands. Créée au théâtre du Palais Royal, sa comédie est jouée pendant deux ans et demi, puis reprise au Québec, en Belgique et en Espagne. Contrairement à Sexe…, Baffie se contente d’être auteur et metteur en scène, rangeant Laurent l’acteur au placard.

Toc Toc est un concentré de génie d’écriture. La pièce imagine la salle d’attente d’un spécialiste des TOC (troubles obsessionnels compulsifs) dans laquelle 6 patients attendent d’être reçus par le praticien de renommée mondiale, mis en retard à cause de problèmes d’avion. Ils apprennent à se connaître et se lancent dans une thérapie de groupe, chacun dévoilant sa propre obsession.

Laurent Baffie au théâtre vanité de la vanne 3

Il faut toujours une bonne chute

Péripéties mémorables, déroulement soigné, répliques brillantes, et un final en forme de « chute » façon conclusion de blague qui témoigne du goût de l’auteur pour la forme traditionnelle de la farce… Baffie a trouvé son créneau. Le bouffon cachait un dramaturge à la plume aiguisée, et un humoriste qui aime avant tout entendre son public rire aux éclats.

Sans filtre, mise en scène en 2014, poursuit dans la même veine. Mais cette fois Baffie se projette de nouveau dans Laurent, qui incarne un buraliste dont la vie est devenue un enfer depuis qu’il ne peut plus cacher ce qu’il pense et qu’il dit tout ce qui lui passe par la tête – surtout le pire. Une sorte de Menteur, menteur – ce film avec un Jim Carrey trop franc – enfermé entre quatre murs.

Sans filtre confirme une impression que Toc Toc laissait déjà sous-entendre : que les motifs scéniques de Baffie disent quelque chose sur le monde dans lequel nous vivons, et que chez lui la dérision est un vernis qui masque la décrépitude de la société.

Déjà, les 6 patients réunis dans leur salle d’attente nous rappelaient, dans une facticité sartrienne, que « l’enfer, c’est les autres ». Alors, oui, rions de bon cœur, amusons-nous : parce que là, dehors, le monde va mal et qu’il vaut mieux s’en moquer que de le subir. Nihiliste, Baffie ? Non, réaliste. Farceur, mais réaliste.

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