50 ans après, le Nouveau Roman est toujours aussi obscur

0
3245

Autour d’Alain Robbe-Grillet et de Marguerite Duras, une « collection d’écrivains » (l’expression est de Jean Ricardou) s’est attelée, dans les années 50/60, à décomposer le style littéraire classique pour mieux en changer toutes les règles. Ce fut l’époque du Nouveau Roman, à la fois école et mouvement, et en même temps ni l’une ni l’autre. Les OLNI (objets littéraires non identifiés) qui en sont nés n’ont pas fini de nous surprendre.

Chewing gomme

Il suffit d’ouvrir les premières pages de l’étrange récit d’Alain Robbe-Grillet, Les Gommes, pour se rendre compte que les ouvrages appartenant au Nouveau Roman ne sont pas à mettre entre toutes les mains. Non pas qu’ils regorgent de violence ou de sexe. Mais dans leur ambition de déconstruire la littérature classique, ils en deviennent labyrinthiques et insolites.

Oubliés, les grands auteurs français du XIXe siècle, les Victor Hugo, Honoré de Balzac ou Emile Zola. Fini, le classicisme qui domine la littérature hexagonale depuis la Renaissance. Voici une collection d’écrivains qui se réclame du « nouveau réalisme », une version 2.0 du réel qui menace perpétuellement de tomber dans l’irréel.

En 1953, Les Gommes annonçaient donc la couleur : éclatement du récit, multiplication des points de vue, incohérence psychologique des personnages… Et une enquête policière, menée par le « héros » Wallas, qui se métamorphose en recherche de la gomme parfaite (ni trop dure, ni trop douce), en guise de métaphore d’une nécessité de « gommer » l’histoire littéraire.

Pour un Nouveau Roman

Théorisé par ses propres auteurs – et notamment par Robbe-Grillet dans Pour un nouveau roman, en 1963 –, ce genre qui n’en est pas vraiment un avait l’ambition de dynamiter les codes du roman classique et d’imposer une nouvelle structure littéraire. Tout en faisant de l’écriture elle-même une aventure, selon la formule de Jean Ricardou.

De fait, le Nouveau Roman désigne un ensemble d’œuvres littéraires rédigées par des écrivains autour des années 50 et 60. N’étant ni tout à fait un genre, ni vraiment une école ou un mouvement, le Nouveau Roman, à l’inverse des genres récents (le « New Adult » et ses dérivés), n’a jamais eu l’intention de s’adapter au public. Il a été créé précisément pour que le public s’adapte à lui.

Ces auteurs ont néanmoins comme point commun d’avoir été édités par Jérôme Lindon aux Éditions de Minuit, dont les couvertures (blanches avec un liseré bleu) sont toujours célèbres. L’expression elle-même a été forgée par Émile Henriot dans un article du Monde, en 1957, à l’occasion d’une chronique littéraire croisée de La Jalousie (Robbe-Grillet) et de Tropismes (Nathalie Sarraute).

50 ans après, le Nouveau Roman est toujours aussi obscur 2

Auteurs et influences du Nouveau Roman

Les représentants du Nouveau Roman ont été nombreux, et ils n’ont jamais cherché à tisser une cohérence particulière entre leurs ouvrages. Citons, parmi eux : Samuel Beckett, Michel Butor, Marguerite Duras, Jean Ricardou, Alain Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute, Claude Simon.

Les influences de ce pseudo-genre ont marqué les artistes de leur époque, et la Nouvelle Vague cinématographique (incarnée par Jean-Luc Godard et François Truffaut) doit beaucoup plus qu’elle ne veut bien le dire à cette entreprise de remise en cause des fondamentaux institutionnels. C’est précisément ce que les jeunes réalisateurs d’alors voulaient faire avec le cinéma.

L’un d’entre eux fut d’ailleurs, toute sa carrière durant, un fidèle admirateur de Robbe-Grillet. Alain Resnais a même mis en scène en 1959 un scénario rédigé par ses soins, celui de L’Année dernière à Marienbad : film mystérieux, impénétrable, inqualifiable. Et, autant le dire, incompréhensible, sans queue ni tête, dénué de début comme de fin. Du pur Nouveau Roman filmé.

50 ans après, le Nouveau Roman est toujours aussi obscur 3

Quels livres faut-il lire ?

On l’aura compris : l’univers du Nouveau Roman est complexe et difficile à décrypter. Mais les romans qui le peuplent, pour peu que le lecteur y mette du sien, promettent de révéler tout une dimension nouvelle et étonnante de l’art littéraire. Voici nos conseils pour débuter dans cette aventure :

  • Molloy, Samuel Beckett (1951) ;
  • Les Gommes, Alain Robbe-Grillet (1953) ;
  • L’Emploi du temps, Michel Butor (1956) ;
  • Moderato Cantabile, Marguerite Duras (1958) ;
  • Dans le labyrinthe, Alain Robbe-Grillet (1959) ;
  • La Route des Flandres, Claude Simon (1960).

D’autres romans sont présentés et critiqués sur cette page. N’ayez pas peur de vous plonger dans ce pseudo-genre étrange et brumeux, dont les enfants, ces romans inqualifiables, sont toujours aussi surprenants aujourd’hui qu’ils l’étaient pour les lecteurs des années 50/60.

LAISSER UN COMMENTAIRE

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici