La gravure sur bois (« technique d’écrire ou de dessiner en relief sur un support en bois ») traverse l’histoire de l’Art du monde entier, et les musées en conservent des traces depuis au moins le XIIIème siècle.
Mais c’est sans doute en sa qualité de première technique d’impression ayant été découverte (car il suffit d’encrer la planche ainsi gravée pour ouvrir la porte aux mille et uns procédés de reproduction) que la gravure sur bois a conquis ses lettres de noblesse et intéresse aujourd’hui plus particulièrement les artistes.
Anselm Kiefer, le grand artiste allemand contemporain, est connu pour être l’un des plus grands explorateurs, expérimentateurs de la Matière et des Matériaux, qu’il dessine, peint ou sculpte, mais aussi creuse, entasse, agrège, souffle, projette, gratte, ou fait exploser.
Dans les années 70 – 80 surtout, Anselm Kiefer s’est tourné vers la gravure sur bois, qu’il utilise soit comme technique en soi d’un bout à l’autre d’une œuvre (surtout pour des formats relativement modestes étant donné ses habitudes, mais pas uniquement), soit à l’intérieur de ses grandes compositions, mélangée à d’autres techniques.
Chaque élément, chaque texture dans l’œuvre de Kiefer, semble porter une signification particulière, assumer une fonction symbolique spécifique dans la représentation du monde et de son histoire. Quelle pourrait donc être le rôle joué par la sculpture sur bois dans cette chorale métaphysique ?
La gravure sur bois écho du Livre
Que l’on songe à l’obsession de l’artiste pour l’objet Livre qu’il a traquée tout au long de son œuvre et à laquelle la magnifique exposition de la BNF vient de rendre hommage, et l’on ne s’étonnera pas que l’artiste se soit ainsi tourné vers la technique qui en est à l’origine.
Les livres de Kiefer sont des œuvres uniques, justement non reproductibles, qui prennent chacune le poids « du » Livre, une sorte de Bible du temps présent, dont chaque variante unique contient toutes les responsabilités de l’humanité pour les exemplaires disparus.
Le bois et la gravure
La gravure s’enfonce dans la chair du bois. Elle est indélébile comme un numéro, elle est violence, refuse la douceur du pinceau envolé avec l’indécence de la palette ayant survécu au troisième Reich. Le bois est lourd, il pèse comme le passé, ne s’autorise aucune légèreté. Il brûle aussi. Il est la matière de ces forêts infinies dans lesquelles Kiefer s’enfonce à mesure de ses œuvres, à la fois mythiques et résonnant avec le plus intime territoire des exécutions nazies.
Et puis il y a cette série de tableaux présentés dans l’exposition du Centre Pompidou et qui évoquent le « peintre inconnu », rôdant dans des architectures désertées portant le signe des années noires. Le peintre inconnu, serait-ce Hitler lui-même qui se prétendant peintre, renverrait ainsi Kiefer à des matières qu’il n’aurait pas polluées, le bois, le sable, la paille ? Même si tous les efforts sont vains et que les cheveux reviennent avec les cendres.
Le noir et le blanc
La gravure sur bois oblige l’artiste à penser en noir et blanc. Cela tombe bien : Kiefer, maniaque de photographie en noir et blanc, a pendant longtemps supprimé le plus possible la couleur de ses œuvres pour creuser la nuit allemande, noire des livres brûlés, blanche des neiges des hivers de la guerre (« Lait noir de l’aube, nous te buvons la nuit » Paul Celan / « Des ténèbres les noirs flocons enneigèrent ton visage » Ingeborg Bachmann).
Une exposition des œuvres gravées d’Anselm Kiefer aura bientôt lieu à Vienne, puisse-t-elle nourrir cette réflexion et apporter un éclairage spécifique sur la place de cette gravure sur bois dans l’œuvre de l’artiste.