La vie fantasmée des stars shootée par Annie Leibovitz

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La plus célèbre des portraitistes du monde est aussi la plus exubérante. Avoir photographié des stars toute sa carrière a peut-être tourneboulé Annie Leibovitz au point que l’artiste est criblée de dettes et pourrait perdre le travail de toute une vie. Il n’empêche que ses portraits méritent tous les superlatifs, de surprenants à grandioses.

La vie est une fiction

Pour Annie Leibovitz, il n’y a pas de séparation franche entre le travail et la vie : les deux ne sont que les facettes d’une même médaille. Elle a appliqué ce mélange des genres à l’un de ses récents ouvrages, La Vie d’une photographe (paru en France aux éditions de La Martinière, en 2006).

Dans ce livre, la photographe a mélangé des clichés de célébrités à des instantanés personnels : ses parents, ses enfants, ses proches sont passés devant son objectif – et Susan Sontag, bien sûr, Sontag l’écrivain et essayiste, Sontag la chantre du féminisme, Sontag qui fut sa compagne jusqu’à son décès en 2004.

Il y a même une photo d’elle : Leibovitz nue et enceinte, reproduisant le cliché ultra-célèbre de Demi Moore qu’elle avait pris pour Vanity Fair en 1991 – l’un de ceux qui ont marqué sa prolifique carrière. Comme si elle voulait nous confirmer qu’il a toujours existé une confusion entre ceux qu’elle photographiait et celle qui les photographiait.

Like a Rolling Stone

Annie Leibovitz a commencé à fourbir ses objectifs au sein du magazine Rolling Stone, qu’elle rejoint en 1970, juste après sa création. Son portfolio suffit à convaincre sa fondatrice Jann Wenner de l’engager ; deux ans plus tard, elle est propulsée photographe en chef.

Son premier job ? Shooter John Lennon, au sens artistique. Ironiquement, elle photographiera le chanteur une dernière fois, avec Yoko Ono, quelques heures avant son assassinat le 8 décembre 1980. Son cliché fait la couverture de Rolling Stone en janvier 1971. Celui des derniers instants de Lennon fera lui aussi la une, celle de l’édition commémorative du magazine – élue meilleure couverture des 40 dernières années.

Quand la revue musicale passe à la couleur, Leibovitz doit s’adapter : durant ses cours du soir, alors qu’elle étudiait la peinture à San Francisco, elle n’a appris à travailler qu’en noir et blanc. Elle se plonge dans la technique et immortalise les nuances colorées de Bob Dylan, Bob Marley et Patti Smith.

Ses clichés de Mick Jagger et de Keith Richards, complètement abandonnés au pouvoir de l’appareil, font le tour du monde. Tout comme Leibovitz qui suit en tournée internationale les Rolling Stones pour… Rolling Stone.

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Annie Leibovitz entre dans la mode

1983 est l’année de la publication de son premier recueil de photos et de son entrée dans le monde de la mode. Elle rejoint Vanity Fair et s’applique à développer un style exubérant, s’amusant à mettre les stars dans des positions fantasmatiques. Whoopi Goldberg plongée dans un bain de lait ou Demi Moore nue et enceinte font partie de ses victimes (consentantes).

Ses portraits paraissent dans Vogue, le New York Times Magazine et le New Yorker. Elle participe à des campagnes publicitaires – en shootant des possesseurs fameux de la carte American Express, Elmore Leonard, Tom Selleck ou Luciano Pavarotti – et s’insinue dans les coulisses du cinéma (Brad Pitt, Michael Moore) comme dans celles de la politique (le cabinet de George W. Bush, Madeleine Albright).

La reine Elizabeth, Barack Obama, Carla Bruni, Uma Thurman et Nelson Mandela se bousculent devant son objectif. Pour elle, Scarlett Johannson et Keira Knightley se dévêtissent, tandis que Tom Ford se rhabille. Suri Cruise pointe le bout de son nez, entre ses parents Tom et Katie.

En 1991, la National Portrait Gallery à Washington lui rend un vibrant hommage en exposant ses photographies – une exhibition qui fera le tour du monde six années durant. Elle fut la première femme à avoir l’honneur de la digne institution. Ses portraits conversaient avec ceux, peints ou pelliculés, des grandes personnalités de l’Histoire américaine.

Des stars au pays des merveilles

Mêlant hyperréalisme et humour, fantasme et fantastique, Annie Leibovitz est parvenue à imposer à peu près tout et n’importe quoi à ses modèles comme aux magazines qui lui ont laissé carte blanche. Ses mises en scène furent extravagantes, ses shootings onéreux, les costumes choisis luxueux au possible.

Elle s’est inspirée de mythologie autant que de culture populaire pour mélanger les personnalités d’aujourd’hui aux légendes d’hier : Jessica Biel en nymphe grecque, Jessica Chastain dans le costume de l’héroïne du film Rebelle de Pixar, Keira Knightley dans une adaptation modernisée du Magicien d’Oz ou Karl Lagerfeld régnant sur le Pays des merveilles.

Elle a fait fermer le parc de Versailles et le Petit Trianon pour y photographier Kirsten Dunst dans le costume de Marie-Antoinette, et a fait construire un bassin façon Titanic pour y plonger Kate Winslet. Aussi rigoureuse dans son métier que dispendieuse dans sa vie, Leibovitz vit dans un autre monde, constitué de notes de frais délirantes et d’une armée d’assistants.

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Sa part d’ombre

Mais Leibovitz, ce n’est pas que le charme et les paillettes. Connue pour ses dépenses incontrôlables, ses appartements achetés sur un coup de tête à New York et Paris, ses travaux dignes d’Hercule (aux coûts dignes de Crésus), criblée de dettes, la photographe pourrait tout perdre. Elle aurait « oublié » de payer ses impôts. La « phobie administrative » aurait-elle fait des victimes outre-Atlantique ?

Une part d’ombre se fait jour chez elle, que certaines de ses photos laissaient paraître. Sous la houlette de Susan Sontag, son inspiratrice, Leibovitz part à Sarajevo en 1993 en pleine guerre des Balkans. Elle en tire un ouvrage, accompagné de textes signés Sontag, dont les photos sont la négation même de ses portraits de stars, et révèlent un autre monde.

Il suffit de regarder sa photo célèbre du vélo – « Fallen Bicycle of Teenage Boy Just Killed by a Sniper » – pour s’en convaincre : il n’y a pas que du rose dans l’œuvre de cette immense photographe, qui a su capter la violence intrinsèque à l’homme aussi bien que la sensualité des actrices de notre temps.

Vous pouvez aller admirer ses photos sur son Tumblr.

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